Introduction :
Jusqu'à la guerre de sécession, l'infériorité de la population noire a toujours été considérée comme naturelle et a légitimé l'esclavage. C'est ainsi qu'en Amérique, dans les champs de travail, est né un nouveau style de musique : le négro spiritual permettait à la communauté noire exploitée de s'exprimer et de revendiquer ses droits. La guerre civile opposant le nord et le sud du pays a permis d'abolir ces pratiques. Mais la ségrégation sociale a persisté dans les mœurs. C'est alors que la communauté afro-américaine a développé différents styles musicaux se basant tous plus ou moins sur le negro-spiritual. De nos jours la musique tient une place importante dans notre société .C'est un des seuls mouvements artistiques qui a le pouvoir de rassembler tout un peuple.Au début du siècle dernier le peuple noir est considéré comme une sous-race qui s'occupe des taches les plus dévalorisantes. Mais petit à petit les noirs ont réussi à s'intégrer dans la société occidentale principalement grâce à la musique.
Comment l'évolution de la musique aux États-Unis reflète-t-elle l'évolution des conditions de vie des afro-américains de 1619 à aujourd'hui ?
Nous étudierons dans un premiers temps le passage des chants de travail au blues. Ensuite nous verrons que le gospel est un chant de libération et, pour finir, comment le jazz est devenu un moyen d'expression privilégié des noirs.
I/ Des chants de travail au Blues
1) UN ESCLAVAGE RYTHME PAR LES CHANTS DE TRAVAIL
A) COMMERCE TRIANGULAIRE
Au XVIe siècle se met en place le commerce triangulaire où des armes, de l'alcool, de la verroterie et des textiles chargés en Europe sont échangés en Afrique contre des captifs.
Devenus esclaves dans les plantations, les captifs africains produisent des matières brutes comme le sucre, le tabac, le cacao, l’indigo et le coton, qui seront transformées puis commercialisés sur le continent européen.
Les navires transportant les captifs africains dits « navires négriers » traversent l'Atlantique en deux mois environ chargés de trois cents à cinq cents captifs. Les futurs esclaves entassés dans l'entrepôt sont nus sur des planches, enferrés par deux. Plus d'un sur dix meurt au cours du voyage. L'équipage est nombreux et armé afin d'empêcher toute révolte...
Les premiers esclaves sont importés en Virginie en 1619. Ils sont issus d'ethnies diverses comme Baoulé, Thonga, Baumba, Kissi, et Ashanti. Ils sont employés surtout dans le sud des Etats-Unis où les propriétés sont vastes et où la culture de la canne à sucre nécessite une grande quantité de main d'oeuvre.
Schéma du commerce triangulaire
B) LES OBSTACLES ENTRE LES ESCLAVES ET LEURS MAÎTRES
Les esclaves font alors face à plusieurs dificultés dans leurs relations avec leur maître. L’obstacle le plus important est les problèmes de communication dus à la méconnaissance de l’anglais par les africains. Le deuxième obstacle est les différences ethniques entre les esclaves et les maîtres, ces derniers font preuve d’arrogance et de mépris envers les africains. Les blancs se polarisent sur les différences d’aspect et de mode de vie : c’est le début de la haine raciale envers les esclaves. Le troisième obstacle est la différence de philosophie entre la philosophie américaine, où la rationalité est prépondérante, et la philosophie africaine qui est dominée par la superstition et le fatalisme.
Finalement, seules la magie, la musique et la danse ne sont pas complètement submergées par les concepts américains, probablement parce qu'il s'agit d'activités plus spirituelles, moins contrôlables.
Les conditions de travail des esclaves sont marquées par un manque de nourriture, une eau insalubre, un climat souvent plus humide, plus chaud et l'affaiblissement parfois durable provoqué par le voyage. Ces quatre facteurs sont responsables de nombreuses blessures et maladies.
La dégradation des conditions de vie des esclaves tiennent aussi à d'autres raisons. Les maîtres imposent des rythmes de travail très soutenus qui laissent peu de temps pour la culture vivrière que certains esclaves cherchent à développer. Cette situation augmente la résistance des esclaves ainsi que la violence des maîtres et des surveillants.
L'encadrement des esclaves est assuré par un régisseur (oversee) qui représente l'autorité du propriétaire sur le terrain et par un « driver », qui conduit les équipes. Le régisseur est presque exclusivement un Blanc, mais le driver est lui-même un esclave. L’autorité qui lui est confiée implique force physique et capacité de commandement.
Le task system et le gang system sont les deux principaux systèmes de travail utilisés dans les plantations américaines.
Le task system est typique des vastes exploitations rizicoles rencontrées en Louisiane, le long de la rivière Yazoo et sur la bande côtière de la Caroline du Sud et de la Géorgie. Il consiste à assigner à chaque esclave un travail donné. Une fois sa tâche acquittée, l'esclave est libre de vaquer à ses occupations personnelles. Ménageant une marge d'autonomie aux esclaves, il est toutefois, à l'échelle des grandes exploitations, largement minoritaire.
Le gang system est plus contraignant, il pouvait être considéré comme l'équivalent du travail à la chaîne dans le domaine agricole. Placés sous l'autorité du driver, des équipes d'esclaves se voient attribuer une fonction spécifique.
Dans les plus grandes exploitations, l'organisation du travail peut aboutir à une certaine spécialisation. Forgerons, charrons, serruriers sont des métiers indispensables au fonctionnement de la plantation dont la charge est souvent héréditaire et réservée aux métis et aux esclaves à peau claire qui étaient mieux considérés que les autres. La clarté de la peau était ainsi un élément d'appréciation de la valeur des esclaves sur le marché et les planteurs choisissaient de préférence des esclaves à peau claire comme concubine appelée fancy girl.
Outre la distinction entre le task system et le gang system, on remarque deux domaines : le domaine des travailleurs de champs et le domaine des travailleurs domestiques. Un esclave pouvait être amené à changer de domaine pour cause d’un changement de culture, d’une migration et surtout de l’épuisement physique.
Ce sont dans ces plantations et ces conditions que les « work songs » sont apparus.
Les « work songs » sont les chants de travail des esclaves qui travaillent autrefois dans les champs de coton du sud de l’Amérique. Ils sont déjà à mi-chemin entre les chansons populaires d’Afrique et une forme musicale toute nouvelle qui est une musique à la fois noire et américaine dite musique noire-américaine.
Cette musique redonne vie au peuple noir et lui a permis de survivre. Les work songs ont permis aux esclaves d’exprimer leur quotidien difficile. C’est un chant défini sur le désespoir, le cafard et la mélancolie souvent ressemblant au poème, à un slam à deux voix suivant le schéma toujours répété de question-réponse, ces chants sont transmis par tradition orale et sont chantés a cappella. Lors des questions-réponses, un meneur lance une phrase à laquelle l’assistance répond avec ferveur. C’est un outil de travail qui donne son rythme à la souffrance du chanteur.
Cette musique est le seul moyen que les noirs américains ont pour s’exprimer durant l’esclavage. Les tamtams aussi ont été interdits car ils étaient en Afrique un outil de communication grâce à un langage qui s’apparente au morse. Au XVIIème siècle, quand les esclaves sont arrivés sur le territoire Américain, ils n’avaient pas le droit de parler leur propre langue car on craignait des complots.
Photo d'esclaves travaillant dans un champ de Coton
2) LE BLUES
2) LE BLUES
Le blues est un style musical vocal et instrumental, dérivé des chants de travail . C'est un style où le chanteur exprime sa tristesse et ses déboires. Le blues a eu une influence majeure sur la musique populaire américaine, puisqu'il est à la source du jazz, du rythm and blues et du rock'n'roll.
Les plus anciennes formes de blues proviennent du Sud des Etats-Unis, à la fin du XIX siècle et au début du XX siècle. Ces formes sont le plus souvent orales, accompagnées parfois par un rythme donné par des instruments rudimentaires. C'est principalement dans les champs de coton de la région du delta du Mississippi que ces formes prennent des tours plus complexes. L'une des formes antérieures au blues est le Fife and Drums joué dans la région Hill Country du Mississppi qui est un ensemble de percussions guidé par un fifre en bambou.
Il y a d'autres formes de blues avec des instruments rudimentaires, comme le diddley bow, une corde fixée sur une planche et le jug, cruchon en terre dans lequel on souffle. Puis le blues évolue avec des instruments simples, tels que la guitare, le piano et l'harmonica. La légende raconte que l'un des guitaristes bluesmen, Robert Johnson, aurait signé un pacte avec le diable ce qui lui aurait permis de devenir un virtuose du blues (blue devils : c'est une musique liée aux forces maléfiques qui était fuie et rejetée par beaucoup de personnes aux États-Unis). Cependant, Robert Johnson ne serait pas le premier à avoir raconté cette histoire, c'est un autre bluesman, auteur du morceau Canned heat Tommy Johnson, qui en serait à l'origine.
W.C. Handy est l'un des premiers musiciens à reprendre des airs de blues, à les arranger et les faire interpréter par des chanteurs avec orchestres. Il est également l'auteur de morceaux parmi les plus célèbres, tel le fameux Saint Louis Blues.
Les années 1920 et 1930 virent l'apparition de l'industrie du disque, et donc l'accroissement de la popularité de chanteurs et guitaristes tels que Blind Lemon Jefferson et Blind Blake qui enregistrent chez Paramount Records, ou Lonnie Johnson chez Okeh Records. Ces enregistrements sont connus sous le terme de race records (musique raciale), car ils sont destinés exclusivement au public afro-américain.
Vers la fin des années 1940 et pendant les années 1950, les Noirs américains migrent vers les villes industrialisées du Nord comme Chicago et Détroit, pour y trouver du travail. Dans les villes comme Chicago, Détroit et Kansas City, un nouveau style de blues « électrique » apparaît. Il utilise la voix, la guitare électrique, la basse électrique, la batterie et l'harmonica amplifié avec un micro et un ampli. J. T. Brown, qui joue avec les groupes d'Elmore James et JB. Lenoir utilise également le saxophone, plutôt comme instrument d'accompagnement qu'instrument soliste.
Ici les deux grands bluesmen Blind Lemon Jefferson et Blind Blake.
3) L'APPARITION DES CHANTS RELIGIEUX
Le rapport à la religion des esclaves américains a considérablement évolué de leur arrivée jusqu’à leur intégration. Les croyances animistes et le culte des ancêtres, hérités de l'Afrique, continuèrent de jouer un rôle prédominant pour les premières générations.
La forte évangélisation des esclaves a pour but d'éviter leur révolte en leur promettant un monde meilleur. Les noirs s'identifient au peuple juif des temps bibliques et adoptent donc la religion chrétienne puisque leurs croyances africaines, vaudous et fétichistes sont interdites. De plus, il est de coutume en Afrique de respecter le Dieu de son conquérant.
A partir du milieu du XVIII siècle, la religion chrétienne se généralise à la faveur du Grand réveil, un mouvement religieux évangélique dont l'élan missionnaire ordonne aux nouveaux convertis blancs d'œuvrer pour le salut des esclaves. Le méthodisme et le baptisme, dont la doctrine de l'engagement individuel tranche avec le déterminisme calviniste, rencontrent en particulier un succès important parmi la population noire.
Les pratiques religieuses des esclaves dépendent pour une part du comportement de leur maître, du rapport que celui-ci entretient avec la religion et de la manière dont il conçoit la foi de ses esclaves. Animée d’une foi sincère ou concevant la religion comme un moyen supplémentaire de contrôle, la majorité des maîtres encouragent la conversion de leurs esclaves.
Malgré le contrôle que les maîtres tentent de conserver sur cette part de leur vie, les esclaves parviennent à développer une « Église invisible » dont les discours et les pratiques différent sensiblement de celle des Blancs.2
Les negro spirituals sont nés lors de l’évangélisation des esclaves. Ce sont des chants où la voix humaine est un médiateur avec les dieux. Le mélange avec la langue anglaise va alors s’opérer lentement et la bible va apparaître dans les paroles de ces chants avec l’utilisation d’un vocabulaire religieux. Ces chants sont une libre interprétation des Écritures Saintes. Les sujets abordés sont le couple Adam et Eve, Noë, Moise, l’Exode et le Christ. En effet, les esclaves noirs s’identifient notamment aux Hébreux que les Égyptiens oppressent, mais qui finiront par être libérés par Moise. Les esclaves noirs attendent eux aussi leur libération.
L’accompagnement instrumental est au début limité aux outils des esclaves, on distingue des entrechoquements de haches, de marteaux ou encore de pioches. Puis, dans un second temps, des tambours, des flûtes de roseau et des violons s’ajoutent à cet accompagnement instrumental. Les negro spirituals s’imprègnent donc de la musique européenne comme les berceuses ou les gavottes. Des danses rituelles appelées les rings shows naissent autour des negro spirituals et rendent encore plus vivantes les cérémonies religieuses.
Malgré le succès incontestable de la religion chrétienne, la survivance des pratiques héritées de l'Afrique reste forte.
Une assemblée chantant un spiritual
II) Le gospel, un chant de libération
1) La naissance du gospel après la guerre de Sécession :
La guerre de Sécession ou guerre civile américaine (généralement appelée « the Civil War » aux États-Unis et parfois de façon polémique « the War of Northern Aggression » par les sympathisants de l'idéologie sudiste) est une guerre civile survenue entre 1861 et 1865 impliquant les États-Unis («l'Union »), dirigés par Abraham Lincoln, et les États confédérés d'Amérique (« la Confédération »), dirigés par Jefferson Davis et rassemblant onze États du Sud qui avaient faits sécession des États-Unis. La guerre de Sécession est l'épisode le plus traumatisant de l'histoire des États-Unis mais elle règle deux problèmes qui tourmentaient les Américains depuis 1776. Elle abolit l'esclavage et confirme que le pays ne se compose pas d'États semi-indépendants mais qui forment une véritable nation unie.
Déracinés, contraints d’abandonner leurs anciennes croyances, les noirs américains trouvent en la foi chrétienne et dans les cantiques de leurs maîtres une source d’inspiration et un mode d’expression unique.
Le gospel naît après la guerre de Sécession, les noirs étant maintenant « libres ». Le gospel correspond au sermon: alternance de solos et de chœurs scandés. Il prend la suite des négro spirituals mais est plus expressif et plus violent que ce dernier car il répond à une recherche de transe. Le gospel est un chant religieux chrétien mais protestant d'origine. Le gospel fait référence à Jésus et aux apôtres, c’est-à-dire aux Évangiles, contrairement aux negro spirituals qui évoquent plutôt des personnages de l'Ancien Testament. Le gospel se développe d'abord chez les Afro-Américains et les blancs du Sud avant de conquérir le reste de l’Amérique et du monde. Le mot gospel signifie « évangile », du vieil anglais « god spell », c'est-à-dire « bonne nouvelle ».
Le gospel est incontestablement une révolte musicale contre une Amérique raciste. C'est une expression de la souffrance des noirs récemment émancipés. Mais les noirs sous l'autorité blanche sont encore particulièrement maltraités dans les États du Sud, d'où une très forte migration vers les grandes villes du Nord (Chicago, Détroit, New York ). Ces populations ne s'engagent pas politiquement même si elles restent fidèles au parti républicain, à Lincoln, leur libérateur.
Nous sommes alors pendant la période de ségrégation où les noirs expriment par la musique et particulièrement le gospel leurs souffrances quotidiennes et leurs revendications. La ségrégation raciale aux États-Unis est instaurée après la période de reconstruction suite à la guerre de Sécession. Les anciens États sudistes mettent alors en place les lois Jim Crow qui contournent les 13e, 14e et 15e amendements à la Constitution d'après guerre ayant aboli l'esclavage et accordé le statut de citoyen aux noirs américains. Les lois Jim Crow sont le surnom donné à toute une série d’arrêtés et de règlements développés généralement dans les municipalités ou les Etats du sud des Etats Unis entre 1876 et 1964. Ces lois, qui constituent l'un des principaux éléments de la ségrégation raciale aux Etats Unis, distinguent les citoyens selon leur appartenance « raciale » et imposent une ségrégation "de jure" dans tous les lieux et services publics. Ces lois ont pour but de restreindre la plupart des droits accordés aux anciens esclaves. Elles ont instauré le développement séparé mais égal, c'est-à-dire la ségrégation dans les lieux publics mais aussi dans les écoles et dans les transports publics.
Les Noirs sont donc fréquemment victimes de violences, de lynchages et de haine par des organisations terroristes comme le Ku Klux Klan. Mais ce sont surtout des blancs du Sud qui sont pour la plupart en complicité avec la police, et qui n'hésitent pas à brûler les maisons ou les fermes des noirs, voire à les battre à mort.
Les Noirs sont donc fréquemment victimes de violences, de lynchages et de haine par des organisations terroristes comme le Ku Klux Klan. Mais ce sont surtout des blancs du Sud qui sont pour la plupart en complicité avec la police, et qui n'hésitent pas à brûler les maisons ou les fermes des noirs, voire à les battre à mort.
Voici deux exemples frappants de ségrégation, les bus et les points d'eau.
Le gospel a donc permis à la communauté afro-américaine de s’affirmer, dans un premier temps, dans les églises. L’expression des noirs passe donc tout d'abord par l'aspect religieux qui consiste à créer une proximité entre le monde moderne et le monde divin. De plus, le gospel cherche à transmettre un message d’espoir plus optimiste que le negro-spiritual. Ce message reste tout de même dans l'optique de revendiquer les droits de cette population persécutée migrant vers le nord et ses grandes villes telles que New York, Chicago... car le sud des Etats Unis reste tout de même fermé quant à l'acceptation de ces anciens esclaves.
Le gospel a donc permis à la communauté afro-américaine de s’affirmer, dans un premier temps, dans les églises. L’expression des noirs passe donc tout d'abord par l'aspect religieux qui consiste à créer une proximité entre le monde moderne et le monde divin. De plus, le gospel cherche à transmettre un message d’espoir plus optimiste que le negro-spiritual. Ce message reste tout de même dans l'optique de revendiquer les droits de cette population persécutée migrant vers le nord et ses grandes villes telles que New York, Chicago... car le sud des Etats Unis reste tout de même fermé quant à l'acceptation de ces anciens esclaves.
Les premières formes du gospel qui se développent sont les Gospels Hymns : ce sont des chants traditionnels et actuels qui proviennent d'une évolution des chants rituels des protestants blancs. Par la suite, ceux-ci se sont transformés en Gospel Song dès 1930. Le gospel reste un style de musique à part entière mais en constante évolution ; ainsi, au fil des années, plusieurs instruments se sont rajoutés tel que l’orgue, l'harmonium, les claquement de mains, etc.… Cette évolution continue à partir de 1945, période où les femmes sont de plus en plus représentées et reconnues parmi les artistes. Il leur a fallu quinze ans pour qu'elles percent la bulle machiste du gospel.
Le gospel est au départ surtout reconnu par des groupes composés par des musiciens et par des chanteurs et chanteuses renommés. La société blanche contribue donc en évangélisant les populations noires, à l’apport culturel indispensable pour la création du gospel, qu'elle a par la suite intégré à sa culture. En définitive, c'est un échange culturel, qui marque encore aujourd'hui ces peuples.
Les lois Jim Crow ont été abolies avec le mouvement des droits civiques dans les années 1960, sous la pression duquel une nouvelle législation a été votée. Les droits des noirs américains sont enfin reconnus et les traités contre les noirs sont supprimés de la Constitution. L'abolition de ces lois permet un développement plus facile du gospel au États-Unis et dans le monde entier. La culture afro-américaine est enfin reconnue comme existante et intéressante par les blancs du sud du pays.
Ainsi, Thomas Andrew Dorsey (1899-1993) est un des précurseurs du gospel. On peut également citer William Herbert Brewster (1897-1987) qui fait de Memphis, « la place forte du gospel ». L’âge d’or du gospel se situe entre 1945 et 1965 avec des groupes masculins, féminins, ou mixtes comme Brother Joe May, le « Caruso du Gospel », ou encore Alex Bradford. Dans les années 1970-1980, le Gospel est toujours aussi vivant et vibrant avec James Cleveland, Al Green, Shirley Caesar, Aretha Franklin, et John Littleton qui le popularise en Europe.
2) Une évolution des chants religieux :
L'époque des chants religieux des noirs américains commence pendant la période même de leur déportation sur le continent américain en tant qu'esclaves. Ils n'ont alors à cette époque aucun droit, pas même le droit de parole. Pour rythmer le travail pénible et difficile dans les champs ,les esclaves noirs pratiquent les Work Songs (chants de travail). Il s’agit de chants simples sans accompagnement. Mais ces chants de travail avaient aussi une connotation religieuse : la voix humaine devient un médiateur avec les dieux et les forces surnaturelles auxquels chaque ethnie différente tente de s’accrocher pour survivre sur la terre américaine encore inconnue.
Au début de l’esclavage (XVIIe siècle), les opinions des planteurs sont différentes quand à une évangélisation possible des esclaves. Certains sont d’accord car elle pourrait apporter une paix durable. Pour les opposants, l’évangélisation serait un véritable danger pour le système établi car ils seraient égaux devant le Christ. Cependant, malgré les différences de langues entre chaque ethnie, le mélange avec la langue anglaise va s’opérer lentement. Les références des esclaves noirs sont désormais la Bible (Saint Paul, Saint Jean Baptiste).
C'est grâce à la musique que les esclaves noirs américains gardent le goût à la vie jusqu'à l'abolition de l'esclavage. Cette pratique religieuse peut se dérouler dans les bois en pleine nuit.
C'est grâce à la musique que les esclaves noirs américains gardent le goût à la vie jusqu'à l'abolition de l'esclavage. Cette pratique religieuse peut se dérouler dans les bois en pleine nuit.
Ensuite, elle évolue et s’effectue dans des Praise House (maison de louange) ou des églises blanches à l’écart. Les esclaves désirent s’évangéliser. Grâce au mouvement du Grand Réveil religieux et une plus grande accessibilité des textes et chants sacrés, les noirs américains se sentent de plus en plus concernés par l’expression de leur foi et se mettent à fréquenter de plus en plus les offices religieux des églises blanches qui pratiquent la ségrégation raciale. Dans les Negro Spirituals, on retrouve des thèmes et personnages de l’Ancien Testament. La terre promise est, pour les Noirs opprimés, le Canada où l’esclavage n’est pas autorisé.
Les premières églises noires indépendantes font leur apparition vers 1770 quand les colonies d’Amérique du Nord souhaitent devenir indépendantes. La première église noire indépendante est crée en Caroline du Sud en 1774. Les Camp-meetings sont des rassemblements religieux multiraciaux en plein air sous des tentes durant lesquels la musique et le chant jouent un rôle essentiel. Ils vont fortement contribuer à l’éclosion du negro spiritual. C’est ce que l’on appelle plus communément le Second Réveil religieux . Les esclaves sont désormais convertis.
Au début du XXème siècle, le terme de spiritual se trouve supplanté par celui de gospel, expression commerciale du spiritual moderne. Le gospel song est un chant religieux dérivé de l’Evangile, interprété dans la tradition afro-américaine dont la première apparition date de 1870. Le gospel trouve son origine dans les chants religieux et dans les mélodies de la musique populaire. Il fait exclusivement référence au Nouveau Testament alors que le Negro Spiritual fesait référence à l’Ancien Testament. Le gospel, est comme son précurseur joué souvent dans des églises et principalement par des noirs américains.
Aujourd'hui encore, le negro-spiritual ou même le gospel ont gardé leur aspect divin qui leur a valu autrefois une reconnaissance mondiale.
III- Le Jazz, un moyen d’expression privilégié des noirs
1) Naissance dans le sud
Comme nous l'avons vu, les lois ségrégationnistes de Jim Crow en vigueur depuis la fin du XIXème siècle obligent une séparation physique entre les races que ce soit pour manger au restaurant, boire de l’eau des fontaines ou encore aller à l’école.
Les fermiers noirs sont obligatoirement sous la responsabilité des propriétaires blancs. Dans le secteur secondaire, les taches les plus pénibles et les moins bien payées sont réservées aux noirs et le droit pénal condamne systématiquement les noirs.
C’est dans ce contexte que le jazz fait son apparition dans les années 1900 à la Nouvelle Orléans (Etats-Unis). Cette musique rythmée et chaleureuse est jouée dans les rues pendant les processions à l’occasion de fêtes religieuses ou pendant des funérailles.
Les musiciens, constitués en Brass Bands (Orchestres composés de cuivres et de percussions) interprétent des chants funèbres lorsqu’ils se rendent à l’enterrement puis des marches plus entraînantes sur le chemin du retour.
À cette époque, la musique est prédominante au point de vue culturel à la Nouvelle-Orléans. Il existe des dizaines de fanfares dont la plupart des membres sont employés à titre permanent. La musique reste néanmoins une activité secondaire pour les musiciens créoles qui, pour la plupart, exerçent un autre métier pour subvenir à leurs besoins.
Dans le sud des États unis le racisme est alors à son paroxysme. Une politique de lynchage s’installe et provoque la mort de nombreux noirs même pour des faits insignifiants.
Billie Holliday s’en inspire dans une chanson devenue l’une des plus célèbres de toute l’histoire du jazz : « Strange fruit »
Cette chanson évoque le corps d’un noir pendu à un arbre et dénonce les nombreuses exécutions avec des procès le plus souvent très sommaires.
La peur, les injustices mais aussi les besoins de main d’œuvre dans les industries du nord vont faire migrer une majorité d’afros-américains.
Louis Amstrong grand personnage de jazz, né en Nouvelle Orléans caractérise cette évolution des musiciens de jazz et de toute la société afro américaine de l’époque.
1917 est une date importante pour lui et pour tous les musiciens de jazz puisqu’il s’agit de l’enregistrement du premier disque permettant une diffusion de la musique à un large public.
C’est aussi la fermeture de Storyville (le quartier des musiciens noirs). Louis Amstrong part alors dans le mouvement général d’exode, pour Chicago. Il y travaille un an avant d’être engagé dans l’un des big bands les plus célèbres de New York.
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2) Harlem, déplacement culturel du sud vers le nord
Les afros américains migrent individuellement ou en petits groupes familiaux. Ils ne reçoivent aucune aide du gouvernement pour cela.
Ils trouvent alors du travail dans l’industrie et une meilleure intégration sociale même si la discrimination perdure. Certains commencent à trouver des emplois plus qualifiés mais souvent la plupart occupent des emplois subalternes et sont logés dans des ghettos. Les relations sont difficiles entre les noirs et les migrants récemment arrivés aux Etats Unis. Ces derniers voient d’un mauvais œil l’arrivée des noirs qui les concurrencent sur le marché du travail. Les noirs acceptent les bas salaires, ils sont dénommés les briseurs de grève, puisqu’ils sont régulièrement embauchés par des patrons d’entreprise afin de pallier les absences des ouvriers lors des grandes grèves syndicales. Les tensions entre les noirs et les blancs atteignent leurs pics lors de l’été 1919 aussi connu sous le nom de « red summer ».
En parallèle la musique évolue aussi, elle se pratique dans des clubs de jazz et est destinée à faire danser (exemple le Cotton Club à New York). Le jazz devient une musique de plus en plus commerciale grâce notamment à l’industrie du disque qui se développe fortement. Le swing fait danser le monde entier et représente aussi un formidable antidote pour la population américaine face à la terrible crise.
Le jazz devient alors la musique américaine la plus populaire. Jamais comme dans ces années-là une musique n’à répondu aux goûts et aux exigences d’un public jeune en quête d’émotions, un public qui représente tous les Américains, sans distinctions de race. Telle est la raison de la vogue sans précédent du swing et par là même du jazz.
Pour l’instant d’une soirée, on oublie ses soucis sur des musiques de Duke Elligton ou de Count Basie. Cette époque donne naissance à de nombreux standards de jazz encore largement joués aujourd’hui. Les plus grands spectacles se passent à l'angle de la 142ème rue et de Lennox Avenue dans le « Cotton club » où les plus grandes revues sont jouées. Il est le plus célèbre des cabarets où le public, composé exclusivement de blancs, désire s’étourdir dans l’ivresse de la danse pour mieux oublier la récession.
En effet la grande dépression dit aussi « crise de 29 » est la période de l’histoire qui va du Krach de 1929 aux Etats-Unis jusqu'à la seconde guerre mondiale. C’est la plus importante dépression économique du siècle dernier, qui s’accompagne d’une importante déflation et d’une explosion du chômage. Elle pousse les autorités à une réforme agressive des marchés financiers.
A New York les noirs sont confrontés au racisme quotidien et sont rejetés du centre par les blancs. Ils se regroupent dans le quartier de Harlem, au nord de Manhattan. Dans ce quartier émerge un courant intellectuel, « la Harlem renaissance » qui est un mouvement de renouveau de la culture afro américaine. Plusieurs arts de création sont regroupés : la littérature, la photographie, la peinture et bien sur la musique.
3) Revendication pour l’égalité des droits
A New York les noirs sont confrontés au racisme quotidien et sont rejetés du centre par les blancs. Ils se regroupent dans le quartier de Harlem, au nord de Manhattan. Dans ce quartier émerge un courant intellectuel, « la Harlem renaissance » qui est un mouvement de renouveau de la culture afro américaine. Plusieurs arts de création sont regroupés : la littérature, la photographie, la peinture et bien sur la musique.
3) Revendication pour l’égalité des droits
Dans le concert de voix qui s’élève, de jour en jour et de plus en plus fort, contre l’inégalité des droits civiques, les musiciens de Jazz et plus précisément les noirs tiennent une place prépondérante. Les manifestations se font de plus en plus fréquentes aux Etats Unis. Des Etats courageux votent des lois sur l’intégration sociale mais le chemin est long encore pour un partage des droits.
Après la seconde guerre mondiale, une deuxième migration se poursuit : plusieurs millions de noirs quittent le sud pour travailler dans les métropoles du nord.
La situation des afro américains s’améliore lentement, leur intégration sociale progresse. Des mesures sont prises par le président Roosevelt pour limiter les discriminations.
En 1948, le président Truman ordonne la déségrégation dans les armées américaines. En 1957, le président Eisenhower fait protéger des jeunes noirs voulant aller dans une école de blancs.
Le Ku Klux Klan prônant la race blanche comme supérieure est démantelé après presque un siècle d’existence.
Des leaders charismatiques comme Martin Luther King et Malcom X militent pour un Etat noir indépendant.
Photo prise de Martin Luther King en 1963 lors de son célèbre discours "I have a dream".
En 1965 le congrès des Etats-Unis met en place la discrimination positive dans les Etats-Unis, le but est de faire en sorte que les noirs soient d’avantage représentés dans les emplois qualifiés, les universités, les médias, etc..
La loi qui donne le droit de vote aux noirs en 1965 met effectivement fin à la ségrégation.
Pendant toutes ces années le jazz et ses formes dérivées que sont le rythm’n ‘blues et la soul music vont accompagner ce combat pour une reconnaissance des droits des afro-américains.
Ray Charles, qui refuse de jouer en Georgie à cause de la loi sur la ségrégation dans les années 50 en est l’exemple le plus connu. Ce n’est que plus tard, après la fin des lois raciales noirs/blancs, que le gouvernement lui présente des excuses et que sa chanson « Georgia On My Mind » deviendra l’hymne officiel de la Georgie.
Voici les deux photos d'album
La musique n’est plus seulement, comme dans les années trente, destinée à seulement divertir les masses. Les artistes chantent leur fierté d’être noirs et incitent leur public à se revendiquer comme tel.
James Brown chante : Say it loud ! I’m Black and I’m proud ! ( Dites le bien fort ! je suis Noir et j’en suis fier »
« I’d rather die on my feet than keep living on my knees » ( je préfère mourir debout que de continuer de vivre à genoux )
Tout cela fait écho à la volonté d’affirmer une identité noire et de construire une communauté afro-américaine. Désormais le noir assume son statut.
Dans L’Etat de l’Arkansas, quand le Gouverneur Orval Faubus se rend odieux, un contre bassiste issu du funk construit un thème « Fables of Faubus » dans lequel il ridiculise ce politicien. Il s’agit pour Charles Mingus de revendiquer, d’exister, de vivre totalement libre et à égalité de droits avec les autres.
Conclusion :
La musique afro-américaine (telle que le jazz, le blues ou le gospel) accompagne les changements de la société tout au long du combat des noirs pour l’égalité des droits. D’abord pendant la ségrégation, où les noirs opprimés tentent de se défendre contre une société légalisant le racisme, puis pendant les années qui ont suivi l’abolition des lois raciales jusqu’à nos jours. Les noirs américains ont su traverser des périodes très difficiles comme leur intégration dans la société américaine, mais ils ont su garder espoir grâce à leur musique et à la religion.
Aujourd’hui, on se souvient encore des paroles de Martin Luther King qui avait dit un jour : « Ni moi, ni mes enfants ne verront un noir président ». Il aurait eu 79 ans lors de la victoire de Barack Obama aux élections présidentielles américaines. Premier noir à accéder à la présidence, Obama est synonyme de changement et d’espoir.
C’est un jour nouveau, comme le dit la toute récente chanson de Will I Am, "It's a new day", dont les paroles chantent la victoire de cette communauté. L’objectif de cette chanson entre dans l’idée première de la musique noire américaine : décrire un fait social, afin de l’accompagner et le commenter.
Comme avec le rap, la musique afro-américaine a encore énormément d'influence sur la musique d'aujourd'hui . Par exemple, le rock, qui a beaucoup de succès dans nos sociétés modernes, est très largement fondé sur la musique noire-américaine.
De même, des styles qui pourraient paraître un peu dépassés, et qui ne sont plus à leur apogée, sont remis au goût du jour. Ainsi le gospel, sur lequel est basé un nouveau spectacle musical : Gospel pour 100 Voix. C'est un des plus grand rassemblement de chanteurs de gospel à l'occasion des cent cinquante ans de l'abolition de l'esclavage. Ce spectacle est actuellement en tournée en Europe et en France et réunit foule de spectateurs.
La musique afro-américaine a su évoluer et s’adapter à la société. Ce phénomène perdure encore, elle est très largement appréciée, ce qui a facilité l'intégration des populations noires et l'égalité des "races" aux Etats-Unis.